Bandeau

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samedi 30 juin 2012

Sans objet


« Je ne veux pas faire tache ! » Trace d’hémoglobine sur la chaussée, peinture imitant une flaque de sang sous la neige poudreuse qui vient de tomber.
Projet n° 493, Renzo Piano et Richard Rogers : empilement de plateaux libres en relation directe avec la grande place.
Les toiles sont accrochées dans les salles, profusion de formes et de couleurs sur les murs blancs. L’un des cartels porte l’inscription « Tableau à la tache rouge - 1914 ».
Au début il y a rencontre avec des paysages d’une Russie rêvée, souvenirs d’enfance évoquant les illustrations populaires en vogue à Paris au début du siècle dernier. Puis, peu à peu, la peinture change et se libère de toute référence au réel. Les toiles traversées parfois encore par la mémoire du Chaman cavalier deviennent abstraction.
« Peinture avec un cercle - 1911 ». La fiche de présentation précise que c’est à cette date que Kandinsky peint ce qu’il appellera sa « première toile abstraite », une composition organisée à partir de masses colorées de différentes densités parmi lesquelles un cercle tracé dans la partie supérieure droite de la toile, qui se regroupent autour d’une forme noire.
La disparition de l’objet a remémoré quelques vers de Mallarmé, un poème qui bannit toute inspiration lyrique. Les mots couchés sur la feuille de papier ne décrivent plus, ne racontent plus. Ils sont ordonnés dans une syntaxe dont l’intention est de produire un effet : éveiller chez le lecteur des impressions et des sentiments. 
La combinaison des couleurs et des formes participent de cette grammaire. Elle véhicule, telle une musique, émotion et sensations. La poésie d’un monde créé de toute pièce par l’artiste, ne répondant qu’à « la nécessité interne au tableau », s’impose à celui qui au travers les salles déambule au fil des lieux et des époques de la vie du peintre.
« Peindre non la chose, mais l’effet qu’elle produit. Le vers ne doit donc pas, là, se composer de mots, mais d’intentions, et toutes les paroles s’effacer devant les sensations… », écrivait Mallarmé en 1864.
Le vocabulaire pictural change, les formes colorées deviennent géométriques. Point, ligne et plan se confrontent au jaune, rouge, bleu dans des compositions spatiales plus épurées. Élan cosmique de la « Composition VIII » de 1923 combinant des éléments géométriques abstraits où des cercles, transparents ou non, de toutes tailles et de toutes couleurs parsèment la toile, surface rythmée par des formes triangulaires et barrée par endroit de fines lignes noires.
Puis nouveau tournant dans la manière de peindre. La gamme chromatique devient plus tendre, la peinture apaisée et sereine. « Bleu du ciel » en 1940 comporte une myriade de petits êtres biomorphiques qui semblent flotter dans un placenta bleuté, crevettes et embryons multicolores relevant d’un monde cellulaire microscopique.
C’est la fin du parcours. La lumière du soir, diffuse à travers une baie et conduit le regard vers le tableau rougeoyant du ciel éclairé par le soleil qui se couche au dessus des toits de la ville…
Après l’exposition Kandinsky au Centre Pompidou.

Victor

(texte écrit le 19 décembre 2009)

samedi 23 juin 2012

Rencontres


Un livre emprunté, annoté, des pages déchirées… Lambeaux. 
La femme est assise au fond de la salle vêtue d’une blouse de couleur brune, à la coupe grossière tel un vêtement porté par les pensionnaires des hôpitaux ou des asiles dans l’ancien temps. Elle raconte. Plutôt, elle s’adresse à quelqu’un d’autre qui pourrait être elle-même dans une conversation intérieure sur le déroulement de sa vie passée. Ou bien c’est le fils qui dans ce dialogue imaginaire évoque, invente sa mère qu’il n’a pas connue.
Elle raconte son enfance, le réveil douloureux dans une maison trop froide, prémisse d’une journée passée à s’occuper de ses sœurs et à vaquer aux travaux du ménage, l’école, interrompue trop tôt, la promiscuité.
Elle dit sa soif de vivre, la sensation de liberté lors du premier pique-nique sans ses parents en haut des collines d’où elle peut voir son village, petites maisons vertes en bois qui jonchent la scène.
Et puis ce sont les premiers émois amoureux, la rencontre de la maladie, de la mort…
Elle raconte le mariage, la solitude, les enfants qui arrivent ; un, puis deux, la fatigue, puis trois.
Elle décrit la dure condition des femmes à la campagne au début du siècle dernier. 
Elle essaie pourtant d’exister, d’écrire dans un petit cahier ce qu’elle voit, ce qu’elle sent, ce qu’elle comprend.
Elle accouche de Charles, épuisée, morte de solitude. Alors elle veut partir, en finir…
Mais vouloir échapper à sa vie quand déprimée on ne la supporte plus, c’est de la folie.
L’actrice dépeint alors l’asile, la blouse sur la peau nue, les sabots de bois qui claquent dans les couloirs, les tentatives de révoltes vite réprimées et la faim.
Une fois de plus le texte devient intelligible, chargé d’émotion quand il devient parole, quand il prend corps.
Et les spectateurs, et la cousine, restés “scotchés” à leur siège, absolument silencieux dans cette petite salle voutée sous le sol de Paris, jusqu’à la fin de cette lecture théâtralisée, applaudissent avec ferveur Anne de Boissy qui leur a porté ce texte de Charles Juliet.

Victor

(texte écrit le 24 novembre 2006)


jeudi 21 juin 2012

ABC


Le jour à peine levé dans la grisaille de ce mois de février, le quartier est bouclé et les voitures ne passent plus.
Les façades des immeubles alentour se couvrent d’un linceul blanc après que la population a été invitée à quitter les lieux et à se regrouper dans le gymnase.
Sous la pluie battante, casques jaunes, casques rouges et casquettes bleues s’affairent dans un ballet absurde autour de la haute silhouette décharnée, blessée, spectre primordial qui s’impose à la vue de tous.
Le temps est suspendu dans l’attente de l’échéance. Seuls les talkies-walkies aux mains des uniformes et les téléphones portables sous les capes de pluie n’ont de cesse de troubler le silence.
Un hélico survole la zone dans le bourdonnement de ses pales, insecte rouge dans le ciel gris que les rayons du soleil maintenant au zénith n’arrivent pas à percer. 
Un laser vert dessine un cœur sur le flanc massif qui tout à l’heure subira un ultime assaut de l’intérieur même de ses entrailles.
La veille, ce fut un déploiement de lumière et de couleurs qui avant l’agonie a retracé le film de sa vie. Quarante ans déjà !  Plus de huit cents familles ont vécu en son sein. « Démolissez-moi oui mais pas trop vite » Un clin d’œil à la chanteuse qui se produisait tout près d’ici il y a quelques jours et fêtait, elle, ses quatre-vingts ans ?
Un coup de corne de brume au travers la bruine vrombissante, millions de gouttelettes d’eau projetées par les turbines des brumisateurs, qui s’élèvent de part et d’autre des façades. 
La grande pelle jaune, immobile, distille alors sa force hydraulique dans les tuyaux qui serpentent au sol et se hissent jusqu’au septième étage.
La presque douzaine de vérins rouges pousse de toute sa puissance huileuse sur les refends du château de cartes. Lutte ultime entre le béton et la force obscure qui se propage dans les tubes d’acier. Lutte inégale, voulue par des hommes calculateurs qui ont joué du marteau piqueur et de la disqueuse pour affaiblir la matière.
Les murs plient et après un léger mouvement latéral, les étages supérieurs descendent écroulant dans leur chute l’ensemble du bâtiment dans un bruit assourdissant.
Le nuage blanc qui a flotté quelques dixièmes de secondes à mi-hauteur de l’édifice, s’agrandit absorbant dans ses volutes cotonneuses l’effondrement. Il s’élève et se répand en tout lieu pour  effacer momentanément les stigmates de la bataille.
C’était environ la quatorzième heure quand le soleil s’éclipsant, l’obscurité se fit sur la cité tout entière…
Lorsque la lumière réapparaît après quelques minutes, une fine couche de poussière grise recouvre le paysage au cœur duquel émergent de l’immense tas de gravats, enchevêtrement de béton déchiré et d’aciers tordus, les restes encore debout des murs déchiquetés, aiguilles pointées vers le ciel évoquant inexorablement l’image d’un bombardement. 
« Mais les souvenirs eux ne seront jamais détruits » (Parole d’habitants : Samira).

Victor

(texte écrit le 18 février 2007)

lundi 18 juin 2012

Vacuité 1


© Victor

Le quai le long du canal est désert. L’averse est terminée. Le ciel chargé de nuages filtre la lumière de midi et estompe les couleurs. Une goutte sur l’anneau de métal retient son souffle et hésite à tomber. Que va-t-il se passer ? Rien. Où ? Nulle part. Qui pense ? Personne. L’espace est vide, aucune action, pas d’idée. Vacuité…

dimanche 17 juin 2012

Mauvais sens


Quelqu’un m’a dit qu’un canal à Paris
S’est perdu entre les tentes des enfants de la Manche
Les flots gris sous les arches des ponts s’égarent
Dans le souvenir sanglant de la fourragère rouge de Papon
Les papiers sont ramassés sur la chaussée
Les sans-papiers poursuivis par la maréchaussée
La Rolex clinquante ne détonne point à la lanterne
L’or ripaille car la brune y hante les bienheureux des enfers
La TV pub et soumise s’est tue quelques instants
La sarcophage empêchée de pondre
Alors le vent nous emportera en roue lib’
Dans les couloirs des taxis en colère
Il reviendra le goût de la cerise
Serait-ce possible encore ?

Victor

(texte écrit le 17 février 2008)

samedi 16 juin 2012

Chacone


Il est vautré sur le canapé. Il ne dort pas et songe aux événements de la nuit. Son oreille ne lui fait plus mal, mais c’est vrai qu’elle est salement amochée. 
Il a pu s’échapper après avoir escaladé avec difficulté la grille, à cause sans doute des rhumatismes dus à son âge avancé. Cette maison qu’il squatte  dans ce quartier retiré de la banlieue, lui sert une fois de plus de refuge.
Il repense à sa jeunesse, à ceux de sa race, fiers et valeureux, vêtus de leurs tuniques à long poils dont la couleur tire légèrement sur le roux sous la lumière rasante du soleil.
Il aurait besoin d’un peu de soins. Depuis combien de temps n’a-t-il pu goûter à la douceur d’une vraie toilette ? Encore que prendre un bain n’a jamais été sa tasse de lait. Mais il y a tellement de plaisir à se faire pomponner par des mains expertes.
C’est difficile de se faire comprendre quand il faut vivre parmi des étrangers. Au début il gardait le silence. Parmi les siens la parole n’était pas essentielle, mais maintenant pour communiquer il faut se faire entendre.
Dans le roman de Haruki Murakami et les bandes dessinées de Joann Sfar, le dialogue est possible  avec certains individus. Cela lui semble cependant guère réaliste, un peu magique même. 
Depuis que sa mère est morte, il n’a plus de famille. Il n’a pas de compagne, ni d’enfant, à cause de cette foutue opération.
Le souvenir qu’il garde de ses parents est très flou. Il est indéfectiblement lié aux splendeurs de la Perse. Ils n’ont pourtant jamais vécu là-bas !
C’était avant la révolution islamique et on lui racontait qu’un “chat” dominait le pays et maintenait les populations dans l’oppression avec une poigne de fer. Étant petit cela le fascinait que quelqu’un de sa race puisse dominer de cette façon autant d’hommes et de femmes, même si au fond de lui  il n’approuvait pas.
Car l’humanité il ne faut pas la mépriser. C’est grâce à elle qu’il peut survivre. Ce sont des hommes et des femmes qui lui donnent à manger. Parfois il faut un peu quémander, se frotter, s’accrocher quitte à se retrouver coincé dans les mailles d’un vêtement. Ce n’est plus la dextérité d’antan. Mais après, il suffit d’un simple roucoulement de satisfaction pour remercier ses hôtes, le ventre plein. Ce n’est pas trop cher payé ! 
À propos de ventre, il pèse un peu. Il a trop bu tout à l’heure. Il faut qu’il aille se soulager. Il se dresse. Un petit stretching — il étire les pattes avant, il étire les pattes arrière — et d’un bond il saute sur le carrelage. En deux temps trois mouvements le voici devant la porte. Il s’assoit, les pattes de derrière repliées. Il rectifie le port de la tête et commence à miauler…

Victor

(texte écrit le 28 janvier 2007)

vendredi 15 juin 2012

Gazouillis


“Gaza, Gaza, oui !   Un habitant de là s’appelle   un Gazaoui   gazaoui au monde   un Gazaoui - c’est qui ?   Un Gazaoui - c’est lui ?”
Les voix de soprano, mezzo-soprano et baryton disent, chantent le poème de Sylvie Nève : “Bande de Gaza”. 
Les percussions et le violoncelle soulignent tantôt le récit, tantôt la mélopée de ce quatuor vocal qui se produit sur une musique d’Éric Daubresse dans une petite salle d’un théâtre de banlieue. 
Gaza, bande de terre coincée entre l’État d’Israël et la mer, Gaza surpeuplée, envahie par la pollution, qui n’a presque plus d’eau douce et dont la clameur retentit dans le monde entier. 
Tour de Babel élevée à la place des villages détruits et des terres expropriées, territoire de réfugiés dont la souffrance, l’espoir et les luttes trouvent écho dans cet oratorio.
Autour de la bande, il y a des peuples de diverses religions, cultures et nationalités : juifs, ismaéliens, musulmans, chrétiens… Et les voix égrènent dans une longue litanie ceux qui sont autour de Gaza : Égyptiens, Palestiniens, Israéliens, Cisjordaniens, Jordaniens… Proximité géographique d’abord qui peu à peu vise à l’universalité : Coréens du sud, Coréens du nord, Suédois, Québécois, Mexicain, Japonais…
Les projecteurs éclairent de plus en plus largement la scène recouverte de bandes de gaze aux couleurs ocres du désert qui reconstituent une carte ancienne de la Palestine. Et puis les spectateurs sont eux-mêmes intégrés dans le halo de lumière.
“il y a autour tout autour de Gaza   de Gaza   il y a   il y a   il y a des femmes   il y a des hommes   il y a des enfants […]   il y a des gens, aussi”
Gaza, prison à ciel ouvert, entourée de clôtures, de barbelés et de murs ; frontières infranchissables.
“[…] territoires reclus   les enfants ne   parviennent pas   obtiennent pas   les permis pour   délivrés pour   traverser   traverser   le mur.”
Et le spectacle terminé, les mots de Sylvie Nève interrogent : “Je regarde Le Mur de Simone Bitton. Qui escalade le mur ? Qui escalade la violence ?”
Mur en construction sur le territoire de Cisjordanie après ceux érigés autour de la Bande de Gaza pour asseoir la colonisation par l’état sioniste et qui a fait l’objet d’un film documentaire récent… 
Murs de béton, de barbelés, murs électroniques, construits sur la frontière mexicaine par les États Unis sous la férule de l’administration Bush et bientôt entre communautés chiites et sunnites en Iraq…
Mur d’Heiligendamm en Allemagne pour “protéger”, lors de la conférence du G8, les représentants des nations les plus riches qui s’arrogent le droit de décider de l’avenir du Monde…
Mur, mur des mots parfois quand “immigration choisie” rime avec “identité nationale” et que la non délivrance d’un visa empêche la fiancée syrienne de retrouver son mari. Pas dans le Golan, non, à Paris en 2007 ! 


Victor


(texte écrit le 6 juin 2007)




mercredi 13 juin 2012

Autour de V…


« LILI JTM ». Les graffitis sur les plaques de ciment sont presque recouverts par les herbes folles. Les chats noirs occupent le terrain sans prêter attention à ces excès d’art scriptural qui maculent les clôtures des propriétés voisines.
Il y a longtemps déjà qu’on ne peut plus lire, marqués à la peinture blanche, les mots « graciez les Rosenberg »  et « Rigdway assassin », sur le mur de l’ancien couvent le long du boulevard où passaient dans le chuintement de leur moteur électrique les trolleybus, écolo avant l’heure.
La foulée encore généreuse ne fait qu’une bouchée du quartier des contes de fées et les sept nains sont renvoyés à leur chorégraphie aérienne dans le ballet d’Angelin Preljocaj. 
La descente vers le fleuve est amorcée à travers les rues sans âme de cette banlieue où la Belle au bois dormant n’a pas été plongée dans un profond sommeil en filant à son rouet mais en se piquant à une épine.
Une corneille fait le guet au sommet du grand chargeur bleu dont la roue à godets attend le charbon qui alimentera la centrale thermique.
Un vent doux souffle de Kabylie et au loin on entend le rire joyeux d’une princesse parce que là-bas l’été ne fait que commencer.
La guitare manouche de Sanseverino égrène les notes d’une chanson du vieux clown qui a terminé son dernier tour de piste.
Non, ce n’est que le clapotis de l’eau et le murmure des turbines sous leurs enveloppes de béton, coquilles d’escargots géantes qui jalonnent le passage.  
Plus loin, le temps change. Le ciel se couvre, les couleurs s’estompent dans la grisaille. L’esprit vagabonde. Sur l’autre rive, on aperçoit la ville voisine à travers un léger brouillard. Le même qu’en cet automne triste après la mort du père quand on pouvait lire sur la pierre, là où l’enduit s’était détaché, l‘inscription ancienne « limite de lamanage »…
Le cœur bat régulièrement, aucune douleur ne se fait encore sentir. Le pont et les écluses ont été avalés et les immeubles neufs indiquent le changement de direction pour revenir vers le centre.
Un RER multicolore, tellement décoré qu’il paraît pré-tagué, passe sur le remblai dans un vrombissement familier. Il remémore les trains du Paris-Orléans emmenés par les 2D2 et BB, pantographe avant abaissé, que nous allions regarder depuis le pont au dessus des voies chaque fois que c’était possible.
Le collège apparaît, à proximité  des jardins ouvriers où poussent les Belles de Fontenay chères à Pouy, sur les flancs du fort militaire où il n’y a pas si longtemps, on fusillait encore au nom de la France.
Là-bas une lumière bleue clignote dans le matin sur le véhicule de secours immobile près des grues du chantier voisin. Un apprenti est passé à travers une trémie mal rebouchée !
Heureusement, plus de peur que de mal. Il s’en est fallu de peu que sur le logo bleu et rouge, les lettres blanches du nom de l’entreprise avancent d’un rang dans l’alphabet pour  inscrire « DCD ».
Est-ce la même ambulance qui en ce premier jour d’été stationnait près du vieil homme couché sur le trottoir devant le centre commercial, qui semblait dormir et qui ne s’est jamais réveillé, une chaussure dérisoire, défaite à côté de lui ?
Et celle qui est restée sans jamais avoir complètement séché ses larmes, parce qu’il faut continuer à vivre remonte consciencieusement la pendule désormais silencieuse dans la chambre et qui attend…
Des battements se font sentir dans la poitrine, musique sourde d’un orchestre oublié. Est-ce Clara qui dirige un concert de son vieux mari ou bien est-ce l’effort pour monter la voie Schumann sur le versant du coteau ?
En tout cas, cette fois-ci encore la camarde en a pris plein la vue et est restée sur place loin derrière. Pourtant entre ses dents usées on a pu entendre un ricanement : « Un jour ce sera au tour de V… »

Victor

(texte écrit le 12 juillet 2009)

lundi 11 juin 2012

Vagabondage à Lyon


Est-ce d’avoir trop pleuré que la lune s’est brisée à Tassin au pied de la colline de Fourvière où la basilique blanche et immaculée regarde avec envie  au delà de la Saône et du Rhône le crayon de la Part Dieu en érection au milieu de la ville ? 
Est-ce une rivière qui veut se confondre au grand fleuve  mais qui prise de remords  au dernier moment garde la couleur de ses eaux ?
Faut-il parcourir Saint-Georges et Saint-Jean  au gré des traboules  pour entendre plus tard  au fond de l’atelier de Saint-Paul  une horloge qui tictac et qui attend le retour du fils ?  
Fait-elle un clin d’oeil à l’ibis rouge aux ailes tachées de vert (et pas de bleu,  je ne suis pas d’accord…) qui sert de signal aux voyageurs qui descendent de Perrache, presqu’île défigurée par l’autoroute et son bunker, passage obligé entre le tunnel et les berges du Rhône ?
Faut-il passer le pont pour retrouver des amis de longue date en suivant le tram qui crisse dans le virage de la rue de Marseille, déguster un demi Saint-Marcellin et évoquer des oranges amères ?
Faut-il regarder passer la cohorte de rollers qui s’élance le vendredi-soir, dans les rues désertées et la douceur du début de la nuit de ce jour d’octobre ?
Faut il oublier que dans cette ville, le bouchon compte tout autant que le breuvage au fond de la bouteille ?
Faut-il surfer de blogs en sites pour découvrir ce qui s’est passé ce samedi en fin de vendanges à Vénissieux?
Est-il prudent de soulever le couvercle de cette boîte de Pandore, près du petit bistrot qui rassure le solitaire de Thiron-Gardais et entendre des Causeuses causer, de la poésie se dire et même tenter de devenir gestuelle ?
Le papier des journaux, qui ne renaîtrait pas de ses cendres, espère-t-il une nouvelle vie plus colorée dans les mains expertes de Jacotte et de quelque blogueuse de haut vol ?
Et à Lyon, capitale des Gaules, une telle journée peut-elle finir sans que se fasse ripaille ?
La nuit tombée, en attendant les derniers métros, est-ce que ce sont des casques qui luisent à la lumière des réverbères, et l’ombre des uniformes qui obscurcit la clarté de cette journée ?
Il est vrai qu’à cette heure là, un bus brûlait à Marseille.

Victor

(texte écrit le 5 novembre 2006)

dimanche 10 juin 2012

Ce que nous savons de Marseille…


Marseille Saint-Charles terminus ! La SNCF et l’équipe TGV membre de l’alliance Railteam espèrent, etc. 
Un voyage de plus de huit heures. En gare d’Avignon, au milieu de la nuit, tandis qu’on ne percevait que le tintement lent et régulier d’un marteau sur les boggies des voitures à compartiments, la motrice électrique avait été remplacée par une 241 P bruissante de vapeur. Elle ahanait maintenant sous un panache de fumée noire laissant échapper des escarbilles et semblait coucher par sa vitesse les poteaux télégraphiques qui défilaient le long des voies, dans l’aube naissante et les yeux ensommeillés d’un enfant. Non, c’était avant…  Réveil brutal à 1h30 du matin par les CRS des passagers en transit et en djellaba assoupis dans la salle d’attente, pour cause de fermeture de la gare… Souvenirs incertains qui se télescopent après tant d’années.
Tout recommence au sommet du grand escalier qui domine le boulevard d’Athènes. Là où le « drôle de Félix » a retrouvé son compagnon Daniel et l’a embrassé tendrement, baiser fougueux et gay sous le regard désapprobateur de Notre-Dame de la Garde, la Bonne Mère qui, du haut de la colline, veille sur la ville et les cages de l’OM.
Plus bas, sur le boulevard qui conduit à la Canebière et plus encore dans les rues adjacentes c’est déjà  un peu le Maghreb qui accueille le voyageur. Pourtant les silhouettes blanches d’un ferry sur le bitume des trottoirs de la Joliette rappellent que l’Algérie et la Tunisie c’est plus loin, de l’autre côté de la mer. Faut-il alors prendre le bateau pour Alger, emprunter les mots et les images d’Élisabeth Leuvrey et, l’accompagnant dans « La Traversée », avoir rencontré à bord Hocine, puis Karim et son frère, Nedjma, sa famille et bien d’autres passagers, chargés de sacs et d’histoires dans cet « entre-deux », entre société d’accueil et société d’origine, entre présent et passé, pour entendre enfin la parole de ceux qu’on appelle migrants ?
Le Tram défie les embouteillages sonores et peine parfois à retrouver ses rails au croisement des rues. Malgré son étrave de navire, il évite le Vieux port et l’abandonne aux flots des touristes qui arpentent les deux rives.
Au nord, derrière l’Hôtel de Ville, les rues étroites n’en finissent pas de monter, quitte à s’adjoindre les services d’un escalier aux marches irrégulières. Elles courent le long des vieux bâtiments, parfois rénovés, murs roses et ocre, baignés de lumière ou plongés dans l’obscurité des ombres portées. Autour des placettes ensoleillées et plantées d’arbres, les volets et le linge qui sèche aux fenêtres égayent les façades de leurs couleurs vives. Un chat qui fréquente le dessus du Panier pose délicatement ses pattes de velours sur les tuiles canal de la toiture d’un immeuble réhabilité. Quelque part, derrière le mur aveugle de la Vieille Charité aux galeries désertes, on découvre un portrait de Jean-Claude Izzo sur une affiche défraichie, vestige d’une ancienne exposition qui rappelait le lien passionnel et poétique que cet écrivain avait avec sa ville. Et on entend, au loin, Gianmaria Testa chanter la Plage du Prophète.
De l’autre côté du Vieux port, rue Sainte, on prétend qu’un morceau de l’Île de beauté s’est échoué sur les récifs pour devenir restaurant. Il est conseillé de s’y réfugier surtout par temps de mistral pour déguster un civet de sanglier et des beignets de légumes, le tout arrosé d’un excellent petit vin corse. Et puis après si les mollets sont encore vaillants et l’estomac pas trop lourd il faudra faire un tour à l’Abbaye Saint-Victor et bien sûr gravir à pieds la colline de la Garde pour regarder enfin la cité et tenter de la comprendre. On ne croisera peut-être pas le bus 55 surgissant de la pente mais une fois au sommet on apercevra sûrement en bas là où « la ville est tranquille », Gérard Meylan qui joue au mauvais garçon, un flingue à la main ou bien on suivra pas à pas Fabio Montale dans l’ombre des ruelles du Panier, sur les terrasses des cabanons du port des Goudes et dans les quartiers populaires du nord de Marseille…

Victor


(texte écrit le 27 juin 2010)

vendredi 8 juin 2012

Interférence mémorielle


Le tourniquet des souvenirs dans ce no man’s land jurassien baigné de soleil embrasait mon esprit d’une mélodie argentine. C’était avant l’hiver et Michel Subor ne prêtait pas encore attention aux battements de son cœur intrus.
Place de l’Opéra un 1er janvier, rendez-vous à 7 heures du matin, le journal convenu à la main. Paris nous appartenait et le monde devait changer. Ai-je rêvé ces ombres inquiètes après le massacre de Tlatelolco, qui descendaient des fourgons crépusculaires les mains en l’air, bidules casqués formant une haie de honte ?
Bien au chaud à l’abri de la neige qui tombait, nous étions gris et légers. Un air de reggae sur un microsillon, Bernard Lavilliers chantait la Jamaïque. Amnésie d’une soirée alcoolisée où tout était possible, où rien ne s’était passé.
Le soleil s’était levé un matin de Pâques sur le massif de la Sainte-Baume. Plus tard à Jokkmokk il avait rebondi à l’horizon refusant de se coucher. Peut-être pour rassurer la petite fille qui en s’endormant avait peur de ne pas se réveiller.
La guerre était finie pour Yves Montand et Geneviève Bujold. Alors pourquoi à la sortie du cinéma, un policier montait-il la garde devant le commissariat, armé d’une mitraillette ? Image déjà révolue des heures noires de l’OAS.
L’ancien poilu de 14-18 était couché sur son lit de mort. Teint cireux et robe de bure. Sentiment de frayeur chez l’enfant. Longtemps après quand ce fut le père qui gisait là, tristesse et infinie tendresse.
Brouillard sur les monts du Pilat, conduite fenêtre ouverte, tête penchée au dehors pour deviner le bas-côté. Très loin de là, un campement sauvage était pris par les nuages un soir d’été et attendait en vain la visite d’un ours mythique. Les tentes craintives s’estompaient dans la brume cotonneuse.
Souvenirs anciens d’événements entremêlés, de paysages effacés, de rencontres sans visage. Oubli de mots, de noms, confusion des émotions et des couleurs. Méprise sur le passé. Ce que j’ai fait hier, je l’ai oublié. Avant-hier ? « La tempête » est dans ma tête. Ariel a tout nettoyé et Prospero a pardonné au roi de Naples.

Victor


(texte écrit le 18 décembre 2011)

jeudi 7 juin 2012

Glisse hivernale


La glisse est satisfaisante. Il n’est plus nécessaire maintenant d’utiliser un quelconque produit pour l’améliorer, l’usinage des semelles est d’une grande qualité et les matériaux employés à l’avenant. Je souris et pense à d’anciennes randonnées à skis de fond où à l’étape, je retardais le groupe pour retoucher le fartage de mes « Dynastar » avec mes sticks, mes tubes, voire ma lampe à farter, en fonction de l’état de la neige : poudreuse, transformée, humide ou glacée…
Je fais des allers-retours réguliers sur cette étendue immaculée étalée devant moi, l’esprit vagabondant dans ces pensées hivernales. De temps en temps un petit geyser de vapeur, tout près, me fait quitter mes rêves et me ramène à la réalité. Il n’y a pas un pli, à chaque fois, un peu de buée se dépose sur mes lunettes et trouble momentanément ma vison des alentours. Les paysages sauvages et volcaniques de l’Islande s’invitent alors dans mon esprit.
Mais il faut que je cesse de rêvasser, je sais que lorsque j’approcherai du col, il me faudra plus de concentration pour éviter de rater mon coup.  De toute façon, il faut rester vigilant car malgré une température somme toute pas très chaude, il peut y avoir des surprises si on s’arrête un peu trop longtemps. Les brûlures arrivent vite.
Maintenant le parcours est difficile, il faut faire très attention car de nombreux obstacles parsèment le bord. Il faut virevolter habilement, presque slalomer pour les éviter et ne pas se planter lamentablement dans ces espèces de boutonnières alignées sur la lisière. Et puis pour continuer il est temps de rectifier la position, bien placer les épaules, ajuster les bras… Heureusement, il y a la jeannette qui est là, compagne indispensable avec ses formes accomplies qui maintenant s’immisce dans la chemise ouverte et guide mon geste pour parvenir à cette harmonie que je recherche.
Car il ne faut pas se raconter d’histoires, le style compte beaucoup pour obtenir une belle apparence, préalable à toute possibilité de séduction. En fait, je ne suis pas trop mécontent du résultat et même si ce n’est pas la perfection, c’est tout à fait convenable. Je débranche le fer et soigneusement suspends la chemise  sur le cintre.

Victor


(texte écrit le 7 novembre 2011)



mercredi 6 juin 2012

L’impossible silence


On entendait depuis le vestibule une kyrielle de sons : chuintements, sifflements, mots susurrés, messages ressassés et incompréhensibles. Un flux RSS incessant qui agrégeait les souvenirs sonores de la vie. 
Pour tenter d’échapper à cet embrouillage sensoriel, on égrenait en mots confus, dans un langage abscons, ce qu’avaient pu être les événements originels avec l’ambition de les coucher sur la feuille blanche, ersatz provisoire du divan du psychanalyste.
La fête foraine finissait dans le crépuscule qui enveloppait le terrain vague. Une musique qui pouvait être de Nino Rota, incertaine d’abord, devenait de plus en plus présente. C’était la fanfare des cinq clowns qui défilaient quand on démontait, à la lueur blafarde des projecteurs, le décor d’un film qui ne se ferait plus. Film dans le film, rengaine nostalgique avant le générique de fin.
Mais le clap final se fit attendre car on tourna vaille que vaille encore plusieurs années. Les acteurs étaient très bien et improvisèrent avec brio chaque fois que le script l’exigeait. Ils avaient fière allure quand ils descendirent le grand escalier pour la parade finale ! 
Ils n’étaient cependant pas tous là. Certains avaient abandonné la production en cours de route. Pour affaire personnelle le plus souvent mais parfois pour se perdre dans cette forêt fantôme, dont on ne revenait pas.
Est-ce alors le bruissement du vent à travers les branchages qui porte leur souvenir et se manifeste intempestivement à l’oreille en créant une indicible douleur ?
Lorsque deux des clowns musiciens, vêtus de rouge, réapparurent sur le perron en jouant trente cinq fois de leurs instruments pour célébrer cet anniversaire, on comprit que le présent était révolu et que peut-être on avait gâché sa vie passée. Requiem pour des rêves non réalisés. 
Quand ils cessèrent de jouer, le silence ne revint pas. On entendait si loin, si proche, des bruits d’ailes ainsi que le murmure des anges qui taquinaient les enfants et accompagnaient les mourants.
Alors, solitaire, mélancolique, perdu dans ses pensées, on regarda la beauté du monde au soleil couchant et on se mit à marcher doucement. Il paraît que la veste, chargée du poids du passé, a glissé lentement sur les épaules et que d’un geste décidé on l’a jetée sur le chemin tel « le doorman » de Cécile Paris. Le pas serait devenu plus rapide et on se serait mis à courir. Mais on n’en est pas très sûr.
Le ressac mugissait sur le rocher. Au fond des coquillages cochléaires on écoutait le silence de la mer.


Victor


(texte écrit le 20 août 2011)