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samedi 15 septembre 2012

Passé simple


Il est passé…

Il entra dans le jardin en un temps incertain du début de ce siècle, chat de hasard, au poil beige gorgé de soleil qui décida de nous adopter.
Alors il mit ses pattes dans nos jambes pendant plus de sept ans au gré de ses envies nous gratifiant de ses frôlements et ronronnements.

Il devint de plus en plus bavard et bientôt de véritables conversations s’instaurèrent sur des thèmes variés qui somme toute concernaient le plus souvent la nourriture : la sienne mais aussi la nôtre. 
Entre deux assiettes de croquettes, puis plus tard de poisson en gelée aux petits légumes, il ne dédaignait pas lécher le pot de crème fraîche ou attraper au vol le petit morceau de jambon qu’une main généreuse lui tendait.
Mais ce qu’il aimait par dessus tout c’était goûter au croissant dominical et à cette occasion mettait en œuvre tous les moyens de persuasion en sa possession tant vocaux que physiques pour obtenir sa part.
Il s’assoupissait alors collé à l’un d’entre nous en rond sur le canapé, en long sur la chaise derrière notre dos ou en travers sur nos genoux.
Parfois c’était la rangée des cassettes vidéo ou plus rarement l’empilement de serviettes dans une armoire qui lui servait de lit douillet.

Quand les beaux jours revenaient, la sieste au soleil était de mise, la tête protégée par une feuille de rhubarbe en guise de  parasol. Il aimait aussi se vautrer sur le ciment chaud de la cour ou plaisir suprême humer le glycol sous une voiture en réparation dans le garage voisin. Alors il revenait décoré de noir ce qui mettait à mal son élégance naturelle de chat persan.
Il fallait le voir batifoler dans le jardin les narines dilatées pour saisir l’effluve des plantes, ou bien s’escrimer en vain à poser la patte sur l’ombre d’un oiseau.
Il avait de grands yeux verts-jaunes tantôt perdus à l’infini dans je ne sais quelle rêverie lunaire, tantôt semblant interroger le monde. Quelle conscience y avait-il alors derrière ces yeux de chat qui s’étonnaient ?

Il était là tambourinant et sautant derrière la porte au petit matin dès que l’un d’entre nous se levait. Il était présent dans la cuisine le nez en l’air à chaque fois qu’un repas était préparé, suivant attentivement les gestes de chacun et poussant des miaulements persuasifs lorsqu’il sentait un met qui lui convenait.
Il allait et venait en fouinant quand il était rassasié jusqu’à ce qu’il trouve une place pour la sieste ou bien décide de sortir.
Le premier qui rentrait à la maison le rencontrait immanquablement à attendre sur le perron ou bien surgissant de nulle part venant à sa rencontre en poussant un petit miaulement de bienvenue.

Bien sûr il y eut quelques nuages ; bagarre sanglante entre congénères, abcès mal placé à soigner, calculs à résorber…
Et puis ce soir là où abattu de douleur il poussait de longs miaulements de détresse. Alors, nuit inquiète à dormir l’oreille attentive, réveil anxieux et course chez le vétérinaire emportant l’animal malade. Très ? On nettoiera le sang dans le couloir après ! Les examens, les soins, l’espoir, vous allez pouvoir le récupérer mais il y aura un traitement… Nouvel appel, il a trop mal, l’estomac est dilaté il faut l'anesthésier et ouvrir. Faites ce qu’il faut. Attente. Il faut que je vous parle c’est le pancréas, cancer, métastases, pronostic vital très faible, cortisone, douleur. C’est un vieux chat. Euthanasie ?

Il est passé, il n’est plus là.

Victor

(texte écrit le 6 mai 2008)