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mardi 19 septembre 2017

Rêve sombre

J'ai rêvé de deux lettres majuscules blanches peintes sur le dos râpé d'une vieille capote kaki, col relevé et calot enfoncé jusqu'aux oreilles. De longs baraquements en bois étaient transis sous la neige de Poméranie et des stalactites de givre s’accrochaient aux épines du concertina qui enserrait les vieux uniformes en déroute dans un stalag mité, grouillant de doryphores. 

On pouvait entendre dans la forêt alentour, au delà des miradors, le grincement des branches sous le vent. C’était l’inespoir d'un homme jeune arraché à sa famille au terme d'une drôle de guerre qu’il n’avait pas faite, d’un prisonnier qui, dans le dénuement, la promiscuité et l'odeur des latrines, n’avait plus que la peau et les os de ses compagnons d'infortune comme seul avenir, comme seule raison de vivre.

J’ai voulu imaginer Croquignole et Marjolaine qui attendaient au bord de l’océan, inquiètes de la tourmente qui arrivait. Mais elles se sont évanouies dans les brumes du passé, formes inachevées, mouvantes, qui se déformaient sans fin, reconstituant peu à peu la réalité d’un vieil hôpital dont les couloirs lugubres en cette fin de journée d’hiver résonnaient de plaintes incessantes et douloureuses.

C’était le cri d'une vieille femme qui disait sa souffrance et sa peur à qui ne pouvait l’entendre au terme d’une vie qui suintait encore dans ses veines, goutte à goutte, sans raison ni désir. C’étaient les (im)patients isolés dans l’angoisse de leurs chambres qui réclamaient un peu d’attention aux blouses blanches ou bleues et pressaient le bouton de la sonnette d'appel, redoutant d'être rabroués pour des dérangements trop fréquents. 

Les lampes accrochées sous les voûtes des galeries couvertes diffusaient une lueur blafarde dans l’obscurité naissante et l’Ankou qui rôdait en ce lieu enveloppait de son ombre les corps décharnés qui ne pouvaient trouver la paix dans leurs draps trop chauds, trop souillés. 

Ce fut le surlendemain que le balancier de cuivre de la pendule cessa de battre… et celle qui était partie n’en remontera plus le poids.

Victor

(Texte écrit le 19 septembre 2017)