Bandeau

Bandeau

dimanche 23 décembre 2012

Faits d'hiver


l’éléphant dent d’ivoire et tête d’or
ne pourra pas échapper à la mort

qu’il soit d’Afrique ou d’Asie
phtisique ce sera l’euthanasie

sinon les chasses du roi d’Espagne
elle est allée valser dans ses bagnes

enfermée tel un vulgaire assassin
Aurore l’extradée de la Toussaint

en liberté depuis sujette à caution
la Basque fera donc très attention

si elle ne veut pas moisir en cellule
ni côtoyer tous les rats qui pullulent

comme à Marseille où c’est bien pis
car pour prendre la mairie ils sont tapis

avec avidité leurs proies ils dépècent
et des vieux journaux ils se repaissent

le mammouth qui n’en a pas peur
se réveille de sa vineuse torpeur

et contre l’impôt monte à l’assaut
pour ne pas lâcher un seul morceau

de sa fortune très bien acquise
alors en cette veille de fête exquise

il préfère passer la frontière là
dans ce pays qui fait du chocolat

le fou qui ménage ses montures
depuis Londres a pris grande posture

s’est levé et d’un discours très léché
dénonce la fiscale guerre de tranchées

laissant le capitaine Conan se faire tacler
et traiter de petit dans un tweet bâclé

un jour après la fin du monde ces ragots
finissent avec le phylactère d’un escargot

qui l’estomac dans les talons lentement
avance sur l’écorce du temps

« pluie pluie pluie je suis de sortie
à moi la vie j’ai de l’appétit » *


Victor



* sources : libre interprétation des publications du jour sur la « une » du site du Nouvel Observateur http://tempsreel.nouvelobs.comet sur le blog « Écorce du temps »  http://ecorce-du-temps.tumblr.com/post/38533765380/les-gasteropodes-sont-heureux-cest-bien-les


(texte écrit le 22 décembre 2012)

samedi 1 décembre 2012

Avant-dernier voyage


La cabine s’élevait bringuebalant le long des guides dans un bruit de câbles métalliques un peu inquiétant. Sans que je m’en rende compte, mon regard se porta sur le bouton d’appel de secours, trahissant la légère angoisse qui m’envahissait. Des gouttes de sueur commençaient à perler sur mon visage tandis que des frissons me parcouraient tout le corps. Ma vue se brouillait. J’avais atteint le cinquième étage et j’essayais de me raisonner. Ce ne pouvait pas être bien grave, sans doute de la claustrophobie ou une simple baisse de tension, voire une petite crise d’hypoglycémie. Neuvième, je m’étais allongé par terre tant bien que mal dans cet espace étroit, les jambes en l’air appuyées sur la paroi, afin d’éviter de tomber. Treizième, je me débattais dans un océan de ténèbres qui m’engloutissait…

Je regardais en contre-plongée un feu d’artifice bleu et rouge. Des pas précipités sur le trottoir accompagnaient des cris de toute sorte.

Ma position n’est pas très confortable et des courbatures se font sentir. J’ai l’impression de m’être assoupi quelques instants. Maintenant je suis bien réveillé et me redresse en prenant appui sur la cuvette et le lave-main. Je fais basculer le loquet du verrou pour ouvrir la porte et sortir de là au plus vite. Tout est tranquille et sombre. Des lumières balaient par intermittence le couloir, éclairant furtivement l’alignement des portes des compartiments ensommeillés, rideaux baissés. Le léger tangage de la voiture rythmé par le bruit régulier des boggies sur les rails et le défilement rapide des poteaux derrière les fenêtres donnent une impression de vitesse. « E pericoloso sporgersi », je souris intérieurement de ces recommandations polyglottes soigneusement vissées sous chacune des ouvertures. Je me prends à fredonner l’air d’une chanson de Nougaro.

Je voyais son visage, éblouissant de blancheur, penché sur moi. Des voix, proches mais indistinctes murmuraient des paroles que je ne comprenais pas.

Un passage à niveau surgit, sonnerie déformée par l’effet Doppler qui perturbe pendant quelques secondes le « tacatam » monotone du train. Je reviens à la réalité et m’avance d’un pas incertain vers le milieu du couloir. L’expérience m’a appris qu’on est plus secoué quand on s’assied au-dessus des roues. J’ouvre l’une des portes coulissantes. Les deux banquettes en skaï vert se font face dans la pénombre de l’aube naissante. Dans le coin près de la fenêtre une femme endormie, seule, la tête appuyée sur les plis du rideau ouvert, exhale un parfum légèrement sucré. J’entre et me laisse tomber sur le siège en face, côté couloir. Je serai plus vite sorti s’il arrive quelque chose. Cette idée me traverse l’esprit sans raison précise. Mes yeux s’attardent sur la photo en noir et blanc fixée sur la paroi en face de moi : Limoges, la vieille ville, sa cathédrale et le pont St Étienne enjambant la Vienne. Ma conscience s’embrume perdue dans les souvenirs.

Je ne sentais plus rien et semblais flotter sur un nuage de coton. Ma bouche était sèche mais j’étais dans l’incapacité d’émettre le moindre son pour demander un peu d’eau. On s’affairait autour de moi.

Le jour se lève maintenant sur un paysage montagneux. Un ruisseau serpente à travers les rochers dans une vallée riante et verte. Soudain, dans un bruit assourdissant le train s’engouffre sous un tunnel. Mais l’obscurité ne dure qu’un court moment et c’est à nouveau le même panorama apaisant qui se déroule derrière la vitre. Ma voisine se réveille, les yeux plissés cherchant à s’habituer à la clarté qui illumine son visage. Elle me voit maintenant et me regarde quelques instants avant de me gratifier d’un sourire en guise de salut. Elle détourne ensuite la tête. Un autre tunnel nous absorbe alors, faisant tout disparaître dans le noir pendant plusieurs minutes. Lorsque nous en sortons, un peu sonnés, nous pouvons voir la vallée se creuser et le torrent devenir impétueux entre les rives escarpées. Nous devinons le grondement de l’eau qui roule sur les pierres dans un bouillonnement d’écume blanche.

On m’avait affublé d’un masque ridicule qui limitait mon champ de vision. De fins tubes de plastique translucide reliaient mes bras immobiles de marionnette inerte à je ne sais quel manipulateur. Je n’entendais plus rien.

Le train ralentit. On approche d’une gare. La montagne s’éloigne à l’arrière-plan, remplacée petit à petit par un enchevêtrement de rails sur lesquels attendent parfois quelques wagons rouillés. Un poste d’aiguillage au pied d’un sémaphore dresse sa silhouette sombre. Des maisons apparaissent de l’autre côté de la rue encore déserte à cette heure matinale. Il y a aussi un hôtel où j’imagine un couple sur le départ, lui en train de fumer derrière la fenêtre et elle assise dans un fauteuil, un livre sur les genoux. Une barrière en béton court le long du ballast puis s’en écarte laissant la place à un quai qui bientôt s’immobilise. La jeune femme se lève et rassemble ses affaires. Je veux l’imiter mais mon corps ne répond plus. 

Elle s’avance vers moi et se penche comme si elle voulait m’embrasser. Sa main me caresse alors les paupières. Je ferme les yeux tandis qu’elle murmure c’est fini !

Victor

(texte écrit le 25 mai 2012)