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samedi 3 décembre 2016

Itinéraire 66

Sur la route des pas perdus, il marche en somnambule vers la falaise tout au bout du rouleau dévoré par le chien. La pluie qui tombe à travers la canopée a lessivé et lavé son visage, chaudes larmes de froids sanglots, ses amis ont été trop clairsemés. 

Les images se dédoublent, redondantes devant ses yeux, métaphore de la complexité du réel. Les mal attentionnés trouvent des stratégies pour faire croire qu’ils sont les bons et que les autres sont les méchants. L’âne donne ses coups de sabots en douce et en drone, l’éléphant trompe son monde en dessous de la ceinture de rouille. 

Il essaie le plus possible de ne pas se cogner les pieds aux pierres qui roulent vers le passé, portées par un vent mauvais. La hiérarchie des normes est inversée mais quelle connerie, la sécu est blessée et ils vont la tuer. Fort Mc Murray a cessé de brûler, Alep s’est brisée sous les bombes, le Habano s’est éteint et lui, il se souvient de Tchernobyl à jamais radioactive sous son sarcophage d’acier. 


Un nénuphar a poussé dans son jardin secret, tout doucement au fil des jours, avec un peu d’écume, sans faire de bruit. L’homme n’accepte pas la déchéance dans sa constitution ni le scintillement des étoiles à fleur de peau. Il demeure prostré tandis que l’univers s’agite autour de lui. Il glisse dans un tunnel d’inconscience, souterrain de l’âme où résonne le bruit chaotique des souvenirs et la machine inscrit sa peur dans une logique binaire de vie ou de mort.

Victor

(Texte écrit le 3 décembre 2016)

dimanche 24 juillet 2016

C'est assez

Des cliquetis dans l’océan. Le cachalot découvre le haut de son énorme tête au dessus des flots, prend son élan et plonge verticalement dans les abysses à la recherche de quelque nourriture. Revenu à la surface de la mer, il exhale son souffle puissant dans un jaillissement de vapeur humide tout près du grand drakkar blanc qui glisse doucement au crépuscule et dont l’étrave brise les vagues iridescentes. Le ciel rougeoyant est parcouru d’éclairs qui crépitent dans la nuée au flanc noir et dérangent le silence qui précède l’orage. 

L’imagination des deux gosses s’enflamme dans un bavardage ininterrompu, l’exaltation augmente au gré de l’improvisation et du temps qui passe. 

Le vent pousse la voile carrée et les rames battent vigoureusement dans l’eau annonçant une menace imminente et inconnue. Cela pourrait être un film en cinémascope qui raconte un âge barbare où un vieux continent disparu depuis des siècles, englouti par la mer et l’histoire, surgit du passé pour conquérir le monde et rebâtir son empire. 

Mais aucune pellicule ne conservera jamais les images de ce qui se joue dans l’esprit de ces raconteurs du moment présent, anamorphoses d’un événement extraordinaire, terrible peut-être, qui fondra sur le monde un jour.

Un clic de souris sur l’ordinateur. La mémoire cache, là-haut dans le nuage, est prête à enregistrer les vidéos compressées qui envahiront bientôt les réseaux sociaux. Il est tard maintenant. Quelques crépitements encore de fusées d’artifice et de pétards troublent le calme de la nuit. Des noctambules profitent de la fraîcheur du soir. Certains aperçoivent peut-être en se tournant vers le large la queue noire et triangulaire du Léviathan dressée contre le ciel au dessus des eaux sombres de la baie. C’est alors que les caméras filment un grand camion blanc qui glisse doucement le long de la côte, son étrave brisant des vies innocentes. 

La bête a surgi de la jungle.

Victor

(Texte écrit le 24 juillet 2016)

mercredi 27 avril 2016

Burla

« Rô i bosse encore ! » dit Paul importuné par un bruit incessant de fouine au dessus de sa tête qui l’empêche d’apprécier le thé rouge sans théine qui fume devant lui. « Tout passe sans arriver » attaque Louise de sa voix pâteuse et imbibée. Un peu verte du trop d’absinthe qu’elle a ingurgité, elle agite sa tête de perruche et acquiesce d’un air entendu à ses propos. Paul contrarié souffrant de son ulcère dû à un ego anormalement développé ouvre un sachet de bismuth tandis que le lyonnais, tapi derrière le comptoir donne crédit à cette affirmation péremptoire.

Tobias Roo qui réparait la charpente descend l’escalier affublé d’un nez de clown mais sans son accent circonflexe qu’il a laissé sur le faîtage pour colmater une infiltration de globish. Il est de mauvaise humeur, parce qu’un capitaine de pédalo lui a déclaré qu’on n’entrait pas par une porte de sortie et qu’on ne pouvait défaire ce qui n’est pas encore fait. Tobias hume à travers la fenêtre ouverte l’air libre et allergène de la rue tandis qu’en prêtant l’oreille, il lui semble percevoir la mélodie d’une viole de gambe dans le lointain. Cela ne suffit cependant pas à calmer son envie de donner des claques.

Le maire d’Eu frappe à l’huis et entre. « Toi, on t’a pas sonné » dit Roo d’une voix forte. Mais avant qu’il ait pu refermer la porte, une « maiastra », brillant de mille feux, pénètre dans la pièce d’un vol léger, virevolte à la recherche d’un socle et finit par se poser. Cette créature en forme d’hélice d’avion, venant sans doute d’un cimetière roumain, surprend tout le monde. « J’ai cogné ! Je viens chercher mes valises. » répond l’édile décontenancé par cette intrusion et par cet accueil peu sympathique. « On ne va quand même pas passer la nuit debout. Allons en marche ! » Joignant le geste à la parole, il remet son couvre chef et pousse son chariot à bagages. Personne ne bronche. L’homme au chapeau quitte alors cet aréopage d’éloquence maintenant silencieux et troublé par l’atterrissage remarquable de l’oiseau doré qui lui avait apporté un supplément d’âme.

Roo, témoin de ces derniers événements se calme peu à peu. Il sort dans l’obscurité, la neige s’était mise à tomber. La route est dans la pénombre mais tout ce qui l’avoisine est poudré à blanc. Sa rencontre avec la reine de la nuit ne l’étonne qu’à moitié. Pour celle qui errait dans les bars rock, il n’est pas question de s’éterniser mais de retrouver au plus vite le corps mort d’un prince sur la scène de crime d’un jardin anglais. En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, elle disparait et cette « imperception » soudaine rappelle à Roo celle de l’UFO dans le livre d’allemand 1ère langue de sa classe de troisième. Fatigué de sa marche nocturne et de cette longue insomnie il arrive finalement à ce qui était la veille encore une scierie mais en ce petit matin n’est plus que ruines fumantes. Adieu lattes, pannes et chevrons, désormais il sait que cela va être la dèche…

Victor

(Texte écrit le 27 avril 2016)