Bandeau

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dimanche 23 décembre 2012

Faits d'hiver


l’éléphant dent d’ivoire et tête d’or
ne pourra pas échapper à la mort

qu’il soit d’Afrique ou d’Asie
phtisique ce sera l’euthanasie

sinon les chasses du roi d’Espagne
elle est allée valser dans ses bagnes

enfermée tel un vulgaire assassin
Aurore l’extradée de la Toussaint

en liberté depuis sujette à caution
la Basque fera donc très attention

si elle ne veut pas moisir en cellule
ni côtoyer tous les rats qui pullulent

comme à Marseille où c’est bien pis
car pour prendre la mairie ils sont tapis

avec avidité leurs proies ils dépècent
et des vieux journaux ils se repaissent

le mammouth qui n’en a pas peur
se réveille de sa vineuse torpeur

et contre l’impôt monte à l’assaut
pour ne pas lâcher un seul morceau

de sa fortune très bien acquise
alors en cette veille de fête exquise

il préfère passer la frontière là
dans ce pays qui fait du chocolat

le fou qui ménage ses montures
depuis Londres a pris grande posture

s’est levé et d’un discours très léché
dénonce la fiscale guerre de tranchées

laissant le capitaine Conan se faire tacler
et traiter de petit dans un tweet bâclé

un jour après la fin du monde ces ragots
finissent avec le phylactère d’un escargot

qui l’estomac dans les talons lentement
avance sur l’écorce du temps

« pluie pluie pluie je suis de sortie
à moi la vie j’ai de l’appétit » *


Victor



* sources : libre interprétation des publications du jour sur la « une » du site du Nouvel Observateur http://tempsreel.nouvelobs.comet sur le blog « Écorce du temps »  http://ecorce-du-temps.tumblr.com/post/38533765380/les-gasteropodes-sont-heureux-cest-bien-les


(texte écrit le 22 décembre 2012)

samedi 1 décembre 2012

Avant-dernier voyage


La cabine s’élevait bringuebalant le long des guides dans un bruit de câbles métalliques un peu inquiétant. Sans que je m’en rende compte, mon regard se porta sur le bouton d’appel de secours, trahissant la légère angoisse qui m’envahissait. Des gouttes de sueur commençaient à perler sur mon visage tandis que des frissons me parcouraient tout le corps. Ma vue se brouillait. J’avais atteint le cinquième étage et j’essayais de me raisonner. Ce ne pouvait pas être bien grave, sans doute de la claustrophobie ou une simple baisse de tension, voire une petite crise d’hypoglycémie. Neuvième, je m’étais allongé par terre tant bien que mal dans cet espace étroit, les jambes en l’air appuyées sur la paroi, afin d’éviter de tomber. Treizième, je me débattais dans un océan de ténèbres qui m’engloutissait…

Je regardais en contre-plongée un feu d’artifice bleu et rouge. Des pas précipités sur le trottoir accompagnaient des cris de toute sorte.

Ma position n’est pas très confortable et des courbatures se font sentir. J’ai l’impression de m’être assoupi quelques instants. Maintenant je suis bien réveillé et me redresse en prenant appui sur la cuvette et le lave-main. Je fais basculer le loquet du verrou pour ouvrir la porte et sortir de là au plus vite. Tout est tranquille et sombre. Des lumières balaient par intermittence le couloir, éclairant furtivement l’alignement des portes des compartiments ensommeillés, rideaux baissés. Le léger tangage de la voiture rythmé par le bruit régulier des boggies sur les rails et le défilement rapide des poteaux derrière les fenêtres donnent une impression de vitesse. « E pericoloso sporgersi », je souris intérieurement de ces recommandations polyglottes soigneusement vissées sous chacune des ouvertures. Je me prends à fredonner l’air d’une chanson de Nougaro.

Je voyais son visage, éblouissant de blancheur, penché sur moi. Des voix, proches mais indistinctes murmuraient des paroles que je ne comprenais pas.

Un passage à niveau surgit, sonnerie déformée par l’effet Doppler qui perturbe pendant quelques secondes le « tacatam » monotone du train. Je reviens à la réalité et m’avance d’un pas incertain vers le milieu du couloir. L’expérience m’a appris qu’on est plus secoué quand on s’assied au-dessus des roues. J’ouvre l’une des portes coulissantes. Les deux banquettes en skaï vert se font face dans la pénombre de l’aube naissante. Dans le coin près de la fenêtre une femme endormie, seule, la tête appuyée sur les plis du rideau ouvert, exhale un parfum légèrement sucré. J’entre et me laisse tomber sur le siège en face, côté couloir. Je serai plus vite sorti s’il arrive quelque chose. Cette idée me traverse l’esprit sans raison précise. Mes yeux s’attardent sur la photo en noir et blanc fixée sur la paroi en face de moi : Limoges, la vieille ville, sa cathédrale et le pont St Étienne enjambant la Vienne. Ma conscience s’embrume perdue dans les souvenirs.

Je ne sentais plus rien et semblais flotter sur un nuage de coton. Ma bouche était sèche mais j’étais dans l’incapacité d’émettre le moindre son pour demander un peu d’eau. On s’affairait autour de moi.

Le jour se lève maintenant sur un paysage montagneux. Un ruisseau serpente à travers les rochers dans une vallée riante et verte. Soudain, dans un bruit assourdissant le train s’engouffre sous un tunnel. Mais l’obscurité ne dure qu’un court moment et c’est à nouveau le même panorama apaisant qui se déroule derrière la vitre. Ma voisine se réveille, les yeux plissés cherchant à s’habituer à la clarté qui illumine son visage. Elle me voit maintenant et me regarde quelques instants avant de me gratifier d’un sourire en guise de salut. Elle détourne ensuite la tête. Un autre tunnel nous absorbe alors, faisant tout disparaître dans le noir pendant plusieurs minutes. Lorsque nous en sortons, un peu sonnés, nous pouvons voir la vallée se creuser et le torrent devenir impétueux entre les rives escarpées. Nous devinons le grondement de l’eau qui roule sur les pierres dans un bouillonnement d’écume blanche.

On m’avait affublé d’un masque ridicule qui limitait mon champ de vision. De fins tubes de plastique translucide reliaient mes bras immobiles de marionnette inerte à je ne sais quel manipulateur. Je n’entendais plus rien.

Le train ralentit. On approche d’une gare. La montagne s’éloigne à l’arrière-plan, remplacée petit à petit par un enchevêtrement de rails sur lesquels attendent parfois quelques wagons rouillés. Un poste d’aiguillage au pied d’un sémaphore dresse sa silhouette sombre. Des maisons apparaissent de l’autre côté de la rue encore déserte à cette heure matinale. Il y a aussi un hôtel où j’imagine un couple sur le départ, lui en train de fumer derrière la fenêtre et elle assise dans un fauteuil, un livre sur les genoux. Une barrière en béton court le long du ballast puis s’en écarte laissant la place à un quai qui bientôt s’immobilise. La jeune femme se lève et rassemble ses affaires. Je veux l’imiter mais mon corps ne répond plus. 

Elle s’avance vers moi et se penche comme si elle voulait m’embrasser. Sa main me caresse alors les paupières. Je ferme les yeux tandis qu’elle murmure c’est fini !

Victor

(texte écrit le 25 mai 2012)

samedi 13 octobre 2012

candide


des briques cendrées montent au septième ciel 
où la terre lourde colle aux souliers

dans les jardins suspendus de Babylone
les serres tomatières se réchauffent au soleil

une roue à pales tournoie en haut de son pylône
le piston de la pompe à eau s’en va et s’en vient

le vent s’engouffre dans le venturi des extracteurs 
aspiration à une vie plus saine

des lucioles tapies dans les balcons en osier 
attendent la nuit pour exhaler leur lumière

éblouies par tant d’arrogance 
les myriades d’étoiles ont cessé de briller

du côté de chez Sohane la lune ne rencontrera plus le soleil 
les émaux de Briare ont été déposés

au firmament les avions se suivent « à la queue le loup » 
ballet des feux très haut dans les airs

c’est l’an 01 des mondes en marche 
après le grand chambardement

il y a un trou de verdure au milieu du ciment
un petit pont enjambe le ru asséché de la rétention

entourés des fantômes de la comédie humaine
les enfants rois jouent en guettant l’orage

acteurs de cette farce sous le ciel menaçant
on croit qu’ils sont encore les lys de cette vallée

Victor

(texte écrit le 13 octobre 2012)

samedi 15 septembre 2012

Passé simple


Il est passé…

Il entra dans le jardin en un temps incertain du début de ce siècle, chat de hasard, au poil beige gorgé de soleil qui décida de nous adopter.
Alors il mit ses pattes dans nos jambes pendant plus de sept ans au gré de ses envies nous gratifiant de ses frôlements et ronronnements.

Il devint de plus en plus bavard et bientôt de véritables conversations s’instaurèrent sur des thèmes variés qui somme toute concernaient le plus souvent la nourriture : la sienne mais aussi la nôtre. 
Entre deux assiettes de croquettes, puis plus tard de poisson en gelée aux petits légumes, il ne dédaignait pas lécher le pot de crème fraîche ou attraper au vol le petit morceau de jambon qu’une main généreuse lui tendait.
Mais ce qu’il aimait par dessus tout c’était goûter au croissant dominical et à cette occasion mettait en œuvre tous les moyens de persuasion en sa possession tant vocaux que physiques pour obtenir sa part.
Il s’assoupissait alors collé à l’un d’entre nous en rond sur le canapé, en long sur la chaise derrière notre dos ou en travers sur nos genoux.
Parfois c’était la rangée des cassettes vidéo ou plus rarement l’empilement de serviettes dans une armoire qui lui servait de lit douillet.

Quand les beaux jours revenaient, la sieste au soleil était de mise, la tête protégée par une feuille de rhubarbe en guise de  parasol. Il aimait aussi se vautrer sur le ciment chaud de la cour ou plaisir suprême humer le glycol sous une voiture en réparation dans le garage voisin. Alors il revenait décoré de noir ce qui mettait à mal son élégance naturelle de chat persan.
Il fallait le voir batifoler dans le jardin les narines dilatées pour saisir l’effluve des plantes, ou bien s’escrimer en vain à poser la patte sur l’ombre d’un oiseau.
Il avait de grands yeux verts-jaunes tantôt perdus à l’infini dans je ne sais quelle rêverie lunaire, tantôt semblant interroger le monde. Quelle conscience y avait-il alors derrière ces yeux de chat qui s’étonnaient ?

Il était là tambourinant et sautant derrière la porte au petit matin dès que l’un d’entre nous se levait. Il était présent dans la cuisine le nez en l’air à chaque fois qu’un repas était préparé, suivant attentivement les gestes de chacun et poussant des miaulements persuasifs lorsqu’il sentait un met qui lui convenait.
Il allait et venait en fouinant quand il était rassasié jusqu’à ce qu’il trouve une place pour la sieste ou bien décide de sortir.
Le premier qui rentrait à la maison le rencontrait immanquablement à attendre sur le perron ou bien surgissant de nulle part venant à sa rencontre en poussant un petit miaulement de bienvenue.

Bien sûr il y eut quelques nuages ; bagarre sanglante entre congénères, abcès mal placé à soigner, calculs à résorber…
Et puis ce soir là où abattu de douleur il poussait de longs miaulements de détresse. Alors, nuit inquiète à dormir l’oreille attentive, réveil anxieux et course chez le vétérinaire emportant l’animal malade. Très ? On nettoiera le sang dans le couloir après ! Les examens, les soins, l’espoir, vous allez pouvoir le récupérer mais il y aura un traitement… Nouvel appel, il a trop mal, l’estomac est dilaté il faut l'anesthésier et ouvrir. Faites ce qu’il faut. Attente. Il faut que je vous parle c’est le pancréas, cancer, métastases, pronostic vital très faible, cortisone, douleur. C’est un vieux chat. Euthanasie ?

Il est passé, il n’est plus là.

Victor

(texte écrit le 6 mai 2008)

mardi 28 août 2012

Cosmologie


Les quarks avaient formé très vite des neutrons et des protons. Les galaxies tournoyaient dans l’univers en s’éloignant les unes des autres du fait de l’expansion de celui-ci. Cependant, les plus proches attirées par les forces de gravitation entraient en collision. Des géantes bleues étaient alors produites, riches en atomes d’oxygène qu’elles disséminaient dans l’espace lors de leur disparition. 
Les étoiles naissaient et mouraient après avoir fabriqué les atomes. À chaque cycle, pendant des milliards d’années, ceux-ci devenaient de plus en plus lourds et par association constituaient les molécules. La matière se structurait donnant naissance aux planètes. Quand, sur ces dernières, les atomes d’hydrogène se combinaient aux atomes d’oxygène, il y avait de l’eau, condition pour que la vie puisse apparaître.
Sur la terre, ce fut d’abord des cellules qui peu à peu se transformaient en s’associant pour créer des êtres vivants de plus en plus complexes. Les dinosaures dominèrent un temps puis disparurent sans doute à cause d’une chute de météorites. Cela permit le développement des mammifères puis des humains, doués de conscience. Et cela durerait encore cinq milliards d’années, si ces êtres conscients ne “déconnaient” pas entre eux et avec leur planète. L’avenir pourrait être royal…
Et tout à coup, au début du vingt et unième siècle de notre ère, tout en bas de la page tel un dessin de Sempé, au centre d’un hexagone, que dis-je au centre, un peu plus à droite, un petit homme s’agite pour se faire entendre. Il a, lui, les solutions et avec ses copains, Clotaire, Rufus, Alceste et Agnan (pardon ! Jean-François, Xavier, Jean-Louis, et bien sûr le cher Éric), il s’engage à les mettre en œuvre pour le plus grand bien de ses concitoyens dont il a entendu les inquiétudes : il faut travailler plus pour gagner plus, récompenser le mérite et l’effort, baisser les impôts des riches, diminuer le nombre des fonctionnaires, renforcer l’autorité quitte “à utiliser le Kärcher” et ne plus accueillir en France que strictement les étrangers dont l’économie à besoin…
D’abord il y a les bernés qui croient aux fausses évidences et aux “y a qu’à”, qui souhaitent se sortir de leur condition de vie médiocre, qui sont sensibles aux discours populistes et prompts à désigner des boucs émissaires. Et puis il y a ceux qui ont bien compris et qui devant l’infiniment grand et l’infiniment petit ne partageaient pas le vertige de Pascal mais lorgnaient plutôt sur son effigie couchée sur les billets de banque, les chantres du libéralisme et du Cac 40 qui portent leur candidat aux nues afin qu’il pleuve toujours où c’est mouillé !
Alors, sous le soleil exactement, le chien s’ébroue en sortant de l’étang. L’hédoniste lâche sa tartine toastée recouverte de compote de rhubarbe avec une fine tranche de Brie de Meaux légèrement gratinée qui tombe du mauvais côté. Une bouche anonyme croque dans une tablette de chocolat aux pépites croustillantes faisant trembler les alentours et semant la ruine. 
Alors l’intelligence dans le pays de mon enfance vacille. Le langage se décompose en concepts puis en mots. Ceux-ci perdent leur sens et se brisent en vingt-six lettres qui redeviennent alphabet. Et bientôt les lettres elles-même, dans un grand couac élémentaire, perdent toute existence pour devenir un magma informe d’images de pub et de jeux télévisés.
Est-ce ainsi que commence le big crunch ?
Victor 

(texte écrit le 6 mai 2007)

vendredi 6 juillet 2012

Il était une fois…


L’homme de lettres gare son vélo jaune à proximité du hall d’entrée. Il abaisse la petite béquille latérale afin de stabiliser son engin et s’avançant de quelques pas,  présente son badge électronique fraîchement programmé, devant la tête de lecture Vigik. La serrure électromagnétique privée d’énergie se décondamne et la porte s’ouvre, version moderne du “tire la chevillette et la bobinette cherra”. Il dépose alors dans la boîte à lettres l’opus du mois de mars des hors séries de Télérama : “Fraternité”…
Elles étaient là rassemblées dans ce parc départemental qui jouxte la voie ferrée, au pieds de la cité rouge brique, splendeur de la reconstruction d’après guerre de cette banlieue ouvrière. La jeune fille toute de bleu vêtue “Égalité”, sa sœur immaculée en robe blanche “Fraternité” et l’autre tout entière de couleur pourpre “Liberté”, ne pouvaient cacher leur inquiétude suite à l’appel pressant et désespéré de leur mère “la République”.
Sur la scène, car il s’agit de théâtre, le Créateur s’entretient avec l’Auteur. (À toute pièce, il faut un auteur qu’on puisse conspuer si les spectateurs n’ont pas aimé ou applaudir dans le cas contraire.) Ils discutent de la représentation qui sera donnée dans quelque instants : un auto-sacramental, sur les malheurs de la République, une fresque allégorique qui utilise le grotesque pour provoquer la réflexion sur le présent, l’actualité. 
C’est un Créateur laïque, qui attrape le fou rire quand il apprend que non seulement il a un représentant sur terre mais de plus qu’il s’appelle Benoît… Il doit construire une fresque sur la république mais est confronté au drame que vivent ses personnages dans les méandres de la lutte pour le pouvoir. Il y a là le Président, le Juge, l’homme d’affaires Dow Jones, un sémillant new-yorkais au maquillage évoquant celui du Joker dans le Batman de Tim Burton, la République et ses trois filles, Liberté, Égalité et Fraternité, laissées en plan dans le parc et puis aussi plein d’autres personnages dont un jardinier prénommé Pablo, complice de la République et qui voudrait pulvériser un puissant insecticide sur la petite Liberté qu’il trouve couverte de parasites : libéralisme, libre échange, etc.
C’est du théâtre joué non seulement pour divertir, mais pour changer la vie tel le “théâtre de l’opprimé” d’Augusto Boal dans les années 1960-70. C’est d’ailleurs aussi en Amérique latine qu’est né le théâtre Aleph, dans le Chili démocratique, en pleine effervescence révolutionnaire au temps de la présidence de Salvador Allende. La troupe a connu ensuite les affres de la répression, de l’emprisonnement et de l’exil pendant les années de plomb de la dictature d’Augusto Pinochet. Elle a ensuite continué à vivre en France, d’abord hébergée puis résidant dans un petit théâtre de la région parisienne sous la direction d’Oscar Castro.
Théâtre convivial, s’il en est, où ce soir là, les spectateurs accueillis par les acteurs déjà grimés sont invités à s’asseoir autour d’une table et à grignoter des “mise en bouche” en attendant la représentation de la pièce  “Il était une fois la République”.
Victor
(texte écrit le 9 avril 2007)

mardi 3 juillet 2012

Fièvre affreuse


Elles ne sont pas aimées. Déjà au début du XXe siècle les anarchistes de tout poil réclamaient à grand cri leur mort.
Depuis cela ne s’est pas arrangé et au moindre prétexte ce sont des interdictions de se rassembler qui sont édictées par les autorités. Et pourtant il ne s’agit pas de bandes de jeunes dans les entrées des HLM !
Plus grave encore (mais que font les ONG ?) il y a eu des autodafés dans certains pays au début de ce siècle et des menaces pèsent encore sur elles en cette fin de semaine. Et là pas de chance, Cécilia est en vacances !
Elles ont eu leur époque de gloire quand il fallait aller chercher le lait à la ferme et attendre la traite pour repartir avec un bidon plein du précieux liquide encore chaud. Aujourd’hui c’est vrai, le berlingot en carton paraffiné est plus anonyme et la provenance de son contenu peut faire question. 
On les voyait alors sur les écrans de cinéma et dans le magazine “La vie du rail” où elles servaient de faire valoir aux acteurs à la mode et aux instantanés de trains des photographes ferroviaires…
Et le grand-père racontait à sa petite fille que si elle ne buvait pas son lait au petit déjeuner, la vache pleurerait, et c’est vrai, dans l’étable elle pleurait.
Avec leurs yeux humides et leurs mouvements de têtes, elles sont belles et tranquilles les blanches, les brunes, les noiraudes, les tachetées.
Il faut les voir ruminant tranquillement dans les prés verts, chassant les mouches d’un geste précis et répétitif de la queue. 
Il faut voir les copines, en marge du troupeau, échappant à la vigilance de la bête dominante, qui vont par deux en se suivant et se “léchouillant” le cou de leur grosse langue râpeuse.
Il me revient le souvenir sonore des innombrables cloches qui tintaient à leur cou dans les alpages du Haut Dauphiné à une époque bénie où l’on ne parlait du loup que dans les contes de Perrault avant que les petits enfants s’endorment, sans doute pour que leur nuit soit remplie de cauchemars !
En fait, j’ai honte car dans le même temps, je me rappelle les soirées de convivialité entre étudiants barbus, dans une petite chambre de bonne, avenue de Versailles à Paris, autour d’immenses côtes de bœuf arrosées d’un bon vin du Sud-Ouest. 
J’avoue, je ne suis pas végétarien.
Victor
(texte écrit le 5 août 2007)

samedi 30 juin 2012

Sans objet


« Je ne veux pas faire tache ! » Trace d’hémoglobine sur la chaussée, peinture imitant une flaque de sang sous la neige poudreuse qui vient de tomber.
Projet n° 493, Renzo Piano et Richard Rogers : empilement de plateaux libres en relation directe avec la grande place.
Les toiles sont accrochées dans les salles, profusion de formes et de couleurs sur les murs blancs. L’un des cartels porte l’inscription « Tableau à la tache rouge - 1914 ».
Au début il y a rencontre avec des paysages d’une Russie rêvée, souvenirs d’enfance évoquant les illustrations populaires en vogue à Paris au début du siècle dernier. Puis, peu à peu, la peinture change et se libère de toute référence au réel. Les toiles traversées parfois encore par la mémoire du Chaman cavalier deviennent abstraction.
« Peinture avec un cercle - 1911 ». La fiche de présentation précise que c’est à cette date que Kandinsky peint ce qu’il appellera sa « première toile abstraite », une composition organisée à partir de masses colorées de différentes densités parmi lesquelles un cercle tracé dans la partie supérieure droite de la toile, qui se regroupent autour d’une forme noire.
La disparition de l’objet a remémoré quelques vers de Mallarmé, un poème qui bannit toute inspiration lyrique. Les mots couchés sur la feuille de papier ne décrivent plus, ne racontent plus. Ils sont ordonnés dans une syntaxe dont l’intention est de produire un effet : éveiller chez le lecteur des impressions et des sentiments. 
La combinaison des couleurs et des formes participent de cette grammaire. Elle véhicule, telle une musique, émotion et sensations. La poésie d’un monde créé de toute pièce par l’artiste, ne répondant qu’à « la nécessité interne au tableau », s’impose à celui qui au travers les salles déambule au fil des lieux et des époques de la vie du peintre.
« Peindre non la chose, mais l’effet qu’elle produit. Le vers ne doit donc pas, là, se composer de mots, mais d’intentions, et toutes les paroles s’effacer devant les sensations… », écrivait Mallarmé en 1864.
Le vocabulaire pictural change, les formes colorées deviennent géométriques. Point, ligne et plan se confrontent au jaune, rouge, bleu dans des compositions spatiales plus épurées. Élan cosmique de la « Composition VIII » de 1923 combinant des éléments géométriques abstraits où des cercles, transparents ou non, de toutes tailles et de toutes couleurs parsèment la toile, surface rythmée par des formes triangulaires et barrée par endroit de fines lignes noires.
Puis nouveau tournant dans la manière de peindre. La gamme chromatique devient plus tendre, la peinture apaisée et sereine. « Bleu du ciel » en 1940 comporte une myriade de petits êtres biomorphiques qui semblent flotter dans un placenta bleuté, crevettes et embryons multicolores relevant d’un monde cellulaire microscopique.
C’est la fin du parcours. La lumière du soir, diffuse à travers une baie et conduit le regard vers le tableau rougeoyant du ciel éclairé par le soleil qui se couche au dessus des toits de la ville…
Après l’exposition Kandinsky au Centre Pompidou.

Victor

(texte écrit le 19 décembre 2009)

samedi 23 juin 2012

Rencontres


Un livre emprunté, annoté, des pages déchirées… Lambeaux. 
La femme est assise au fond de la salle vêtue d’une blouse de couleur brune, à la coupe grossière tel un vêtement porté par les pensionnaires des hôpitaux ou des asiles dans l’ancien temps. Elle raconte. Plutôt, elle s’adresse à quelqu’un d’autre qui pourrait être elle-même dans une conversation intérieure sur le déroulement de sa vie passée. Ou bien c’est le fils qui dans ce dialogue imaginaire évoque, invente sa mère qu’il n’a pas connue.
Elle raconte son enfance, le réveil douloureux dans une maison trop froide, prémisse d’une journée passée à s’occuper de ses sœurs et à vaquer aux travaux du ménage, l’école, interrompue trop tôt, la promiscuité.
Elle dit sa soif de vivre, la sensation de liberté lors du premier pique-nique sans ses parents en haut des collines d’où elle peut voir son village, petites maisons vertes en bois qui jonchent la scène.
Et puis ce sont les premiers émois amoureux, la rencontre de la maladie, de la mort…
Elle raconte le mariage, la solitude, les enfants qui arrivent ; un, puis deux, la fatigue, puis trois.
Elle décrit la dure condition des femmes à la campagne au début du siècle dernier. 
Elle essaie pourtant d’exister, d’écrire dans un petit cahier ce qu’elle voit, ce qu’elle sent, ce qu’elle comprend.
Elle accouche de Charles, épuisée, morte de solitude. Alors elle veut partir, en finir…
Mais vouloir échapper à sa vie quand déprimée on ne la supporte plus, c’est de la folie.
L’actrice dépeint alors l’asile, la blouse sur la peau nue, les sabots de bois qui claquent dans les couloirs, les tentatives de révoltes vite réprimées et la faim.
Une fois de plus le texte devient intelligible, chargé d’émotion quand il devient parole, quand il prend corps.
Et les spectateurs, et la cousine, restés “scotchés” à leur siège, absolument silencieux dans cette petite salle voutée sous le sol de Paris, jusqu’à la fin de cette lecture théâtralisée, applaudissent avec ferveur Anne de Boissy qui leur a porté ce texte de Charles Juliet.

Victor

(texte écrit le 24 novembre 2006)


jeudi 21 juin 2012

ABC


Le jour à peine levé dans la grisaille de ce mois de février, le quartier est bouclé et les voitures ne passent plus.
Les façades des immeubles alentour se couvrent d’un linceul blanc après que la population a été invitée à quitter les lieux et à se regrouper dans le gymnase.
Sous la pluie battante, casques jaunes, casques rouges et casquettes bleues s’affairent dans un ballet absurde autour de la haute silhouette décharnée, blessée, spectre primordial qui s’impose à la vue de tous.
Le temps est suspendu dans l’attente de l’échéance. Seuls les talkies-walkies aux mains des uniformes et les téléphones portables sous les capes de pluie n’ont de cesse de troubler le silence.
Un hélico survole la zone dans le bourdonnement de ses pales, insecte rouge dans le ciel gris que les rayons du soleil maintenant au zénith n’arrivent pas à percer. 
Un laser vert dessine un cœur sur le flanc massif qui tout à l’heure subira un ultime assaut de l’intérieur même de ses entrailles.
La veille, ce fut un déploiement de lumière et de couleurs qui avant l’agonie a retracé le film de sa vie. Quarante ans déjà !  Plus de huit cents familles ont vécu en son sein. « Démolissez-moi oui mais pas trop vite » Un clin d’œil à la chanteuse qui se produisait tout près d’ici il y a quelques jours et fêtait, elle, ses quatre-vingts ans ?
Un coup de corne de brume au travers la bruine vrombissante, millions de gouttelettes d’eau projetées par les turbines des brumisateurs, qui s’élèvent de part et d’autre des façades. 
La grande pelle jaune, immobile, distille alors sa force hydraulique dans les tuyaux qui serpentent au sol et se hissent jusqu’au septième étage.
La presque douzaine de vérins rouges pousse de toute sa puissance huileuse sur les refends du château de cartes. Lutte ultime entre le béton et la force obscure qui se propage dans les tubes d’acier. Lutte inégale, voulue par des hommes calculateurs qui ont joué du marteau piqueur et de la disqueuse pour affaiblir la matière.
Les murs plient et après un léger mouvement latéral, les étages supérieurs descendent écroulant dans leur chute l’ensemble du bâtiment dans un bruit assourdissant.
Le nuage blanc qui a flotté quelques dixièmes de secondes à mi-hauteur de l’édifice, s’agrandit absorbant dans ses volutes cotonneuses l’effondrement. Il s’élève et se répand en tout lieu pour  effacer momentanément les stigmates de la bataille.
C’était environ la quatorzième heure quand le soleil s’éclipsant, l’obscurité se fit sur la cité tout entière…
Lorsque la lumière réapparaît après quelques minutes, une fine couche de poussière grise recouvre le paysage au cœur duquel émergent de l’immense tas de gravats, enchevêtrement de béton déchiré et d’aciers tordus, les restes encore debout des murs déchiquetés, aiguilles pointées vers le ciel évoquant inexorablement l’image d’un bombardement. 
« Mais les souvenirs eux ne seront jamais détruits » (Parole d’habitants : Samira).

Victor

(texte écrit le 18 février 2007)