Bandeau

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mardi 28 avril 2020

En vain

Le grand chaos épidémique est survenu et ces temps incertains rendent irréel le passé récent, si lointain déjà, souvenirs ténus et nostalgiques qui résonnent encore dans sa tête.

Enfermé aux confins de sa vie bouleversée, tandis que la mort joue sa partie sur l’échiquier de Sissa, il écoute l’antienne mensongère de gouvernants qui ont amnistié leur conscience.

Les masques sont tombés et les soi-disant experts ont émergé du pandémonium. La charité s’est moquée de l’hôpital, y a pas d’argent magique et cela est fatal.

Dans les rues désertes il a l’impression de suivre son propre enterrement, décédé par arrêt de l’arbitre, trop vieux pour être intubé, la date de péremption est dépassée.

Des renardeaux musardent entre les tombes du Père Lachaise et les corbeaux, dans une atmosphère délétère, survolent la halle de Rungis, froide et triste, où attendent les cadavres sans sépulture.

Les visages et les corps familiers ne sont plus que des figures numérisées, fantômes insaisissables, qui balbutient sur la toile via les réseaux sociaux et visioconférence.

Il ne reverra jamais plus le monde qu’il a quitté il y a six semaines. Il rêve qu’il dort et devant les écrans bleus de ses journées monotones ne pense qu’au vide de sa solitude.

Victor

(Texte écrit le 28 avril 2020)

jeudi 20 juin 2019

À la terrasse







































© Victor

Fausse nouvelle

Cinq ans avaient passé. La flèche de Viollet-le-Duc n’était pas reconstruite et Paname encore meurtrie s’apprêtait à organiser les jeux olympiques. Les gilets jaunes ne défilaient plus sur les Champs, le fond de l’air n’était pas rouge, mais pollué. La lumière du soleil éclairait la Cité d’une lueur douloureuse à travers l’atmosphère saturée de NOx et les particules fines s’infiltraient dans les bronches des citadins et des sportifs.

C’est alors que des ours ont envahi Paris. Ils s’étaient installés sur le boulevard Saint-Marcel et certains d’entre eux, les plus hardis sans doute, s’affichaient déjà aux terrasses des cafés sur l’avenue des Gobelins en remontant vers la Place d’Italie. On les reconnaissait facilement à leur démarche chaloupée, jambes arquées, tels des cowboys dans les westerns spaghettis. Le poil ras et noir, museau orangé, ils arboraient un collier blanc sur la poitrine. Ils étaient de petites tailles ces ours chien, ces « arrivants » qui avaient quitté l’Asie pour ne plus se faire de bile. Ils étaient plutôt de tempérament gai et espiègle et ne présentaient pas d’agressivité particulière. Dans la journée, ils aimaient se vautrer derrière les vitrines des boutiques ouvertes sans déranger le chaland, ou bien grimper sur les mâts des lampadaires et les balustrades Guimard qui entouraient les stations de métro, pour s’asseoir et faire une petite sieste. Mais la nuit tombée, la vie reprenait ses droits et l’activité était à son comble. C’étaient des rôdeurs solitaires ou parfois une femelle avec ses petits,  qui s’immisçaient dans tous les recoins des rues, voire dans les habitations si par malheur une porte était mal fermée ou une fenêtre entrouverte,  pour chaparder tout ce qui était bon à servir de nourriture. 

Les quelques bosons dopés au LHC, en planque derrière les murs de l’Université Pierre et Marie Curie, qui observaient ce remue-ménage, étaient tout excités par leurs récentes courses effrénées et les innombrables collisions auxquelles ils avaient été soumis. Ils voyaient d’un mauvais œil les événements actuels et étaient prêts à en découdre. C’étaient alors des nuits pleines de chuchotements et de conciliabules où avec gravité, les gluons, les photons, les bosons W, ces derniers plus ou moins positifs,  discutaient de ce qu’il convenait de faire pour éviter que cela dégénère. Le plus déterminé de tous, le Higgs était rarement présent à ces discussions et toujours d’une manière très éphémère. Aussi rien n’avançait et « l’axion » restait hypothétique. Mais au cœur d’une nuit sans lune, tel un bruit sourd venant d’outre-tombe, le lointain cousin d’un diable de Tasmanie échappé du Jardin des Plantes prit la parole devant cet aréopage de particules. Le noblaillon évoqua le hasard et la nécessité et suggéra d’affamer ces envahisseurs friands de miel en s’attaquant à leurs subsistances : rien de tel que des colonies de frelons à pattes jaunes, pour anéantir les ruchers. Ainsi dit, ainsi fait. Bientôt les ours faméliques durent quitter la capitale tandis que des rumeurs effarées et confuses bourdonnaient dans la ville.

Victor

(Texte écrit le 9 juin 2019)