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samedi 23 juin 2012

Rencontres


Un livre emprunté, annoté, des pages déchirées… Lambeaux. 
La femme est assise au fond de la salle vêtue d’une blouse de couleur brune, à la coupe grossière tel un vêtement porté par les pensionnaires des hôpitaux ou des asiles dans l’ancien temps. Elle raconte. Plutôt, elle s’adresse à quelqu’un d’autre qui pourrait être elle-même dans une conversation intérieure sur le déroulement de sa vie passée. Ou bien c’est le fils qui dans ce dialogue imaginaire évoque, invente sa mère qu’il n’a pas connue.
Elle raconte son enfance, le réveil douloureux dans une maison trop froide, prémisse d’une journée passée à s’occuper de ses sœurs et à vaquer aux travaux du ménage, l’école, interrompue trop tôt, la promiscuité.
Elle dit sa soif de vivre, la sensation de liberté lors du premier pique-nique sans ses parents en haut des collines d’où elle peut voir son village, petites maisons vertes en bois qui jonchent la scène.
Et puis ce sont les premiers émois amoureux, la rencontre de la maladie, de la mort…
Elle raconte le mariage, la solitude, les enfants qui arrivent ; un, puis deux, la fatigue, puis trois.
Elle décrit la dure condition des femmes à la campagne au début du siècle dernier. 
Elle essaie pourtant d’exister, d’écrire dans un petit cahier ce qu’elle voit, ce qu’elle sent, ce qu’elle comprend.
Elle accouche de Charles, épuisée, morte de solitude. Alors elle veut partir, en finir…
Mais vouloir échapper à sa vie quand déprimée on ne la supporte plus, c’est de la folie.
L’actrice dépeint alors l’asile, la blouse sur la peau nue, les sabots de bois qui claquent dans les couloirs, les tentatives de révoltes vite réprimées et la faim.
Une fois de plus le texte devient intelligible, chargé d’émotion quand il devient parole, quand il prend corps.
Et les spectateurs, et la cousine, restés “scotchés” à leur siège, absolument silencieux dans cette petite salle voutée sous le sol de Paris, jusqu’à la fin de cette lecture théâtralisée, applaudissent avec ferveur Anne de Boissy qui leur a porté ce texte de Charles Juliet.

Victor

(texte écrit le 24 novembre 2006)


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