Bandeau

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mercredi 13 juin 2012

Autour de V…


« LILI JTM ». Les graffitis sur les plaques de ciment sont presque recouverts par les herbes folles. Les chats noirs occupent le terrain sans prêter attention à ces excès d’art scriptural qui maculent les clôtures des propriétés voisines.
Il y a longtemps déjà qu’on ne peut plus lire, marqués à la peinture blanche, les mots « graciez les Rosenberg »  et « Rigdway assassin », sur le mur de l’ancien couvent le long du boulevard où passaient dans le chuintement de leur moteur électrique les trolleybus, écolo avant l’heure.
La foulée encore généreuse ne fait qu’une bouchée du quartier des contes de fées et les sept nains sont renvoyés à leur chorégraphie aérienne dans le ballet d’Angelin Preljocaj. 
La descente vers le fleuve est amorcée à travers les rues sans âme de cette banlieue où la Belle au bois dormant n’a pas été plongée dans un profond sommeil en filant à son rouet mais en se piquant à une épine.
Une corneille fait le guet au sommet du grand chargeur bleu dont la roue à godets attend le charbon qui alimentera la centrale thermique.
Un vent doux souffle de Kabylie et au loin on entend le rire joyeux d’une princesse parce que là-bas l’été ne fait que commencer.
La guitare manouche de Sanseverino égrène les notes d’une chanson du vieux clown qui a terminé son dernier tour de piste.
Non, ce n’est que le clapotis de l’eau et le murmure des turbines sous leurs enveloppes de béton, coquilles d’escargots géantes qui jalonnent le passage.  
Plus loin, le temps change. Le ciel se couvre, les couleurs s’estompent dans la grisaille. L’esprit vagabonde. Sur l’autre rive, on aperçoit la ville voisine à travers un léger brouillard. Le même qu’en cet automne triste après la mort du père quand on pouvait lire sur la pierre, là où l’enduit s’était détaché, l‘inscription ancienne « limite de lamanage »…
Le cœur bat régulièrement, aucune douleur ne se fait encore sentir. Le pont et les écluses ont été avalés et les immeubles neufs indiquent le changement de direction pour revenir vers le centre.
Un RER multicolore, tellement décoré qu’il paraît pré-tagué, passe sur le remblai dans un vrombissement familier. Il remémore les trains du Paris-Orléans emmenés par les 2D2 et BB, pantographe avant abaissé, que nous allions regarder depuis le pont au dessus des voies chaque fois que c’était possible.
Le collège apparaît, à proximité  des jardins ouvriers où poussent les Belles de Fontenay chères à Pouy, sur les flancs du fort militaire où il n’y a pas si longtemps, on fusillait encore au nom de la France.
Là-bas une lumière bleue clignote dans le matin sur le véhicule de secours immobile près des grues du chantier voisin. Un apprenti est passé à travers une trémie mal rebouchée !
Heureusement, plus de peur que de mal. Il s’en est fallu de peu que sur le logo bleu et rouge, les lettres blanches du nom de l’entreprise avancent d’un rang dans l’alphabet pour  inscrire « DCD ».
Est-ce la même ambulance qui en ce premier jour d’été stationnait près du vieil homme couché sur le trottoir devant le centre commercial, qui semblait dormir et qui ne s’est jamais réveillé, une chaussure dérisoire, défaite à côté de lui ?
Et celle qui est restée sans jamais avoir complètement séché ses larmes, parce qu’il faut continuer à vivre remonte consciencieusement la pendule désormais silencieuse dans la chambre et qui attend…
Des battements se font sentir dans la poitrine, musique sourde d’un orchestre oublié. Est-ce Clara qui dirige un concert de son vieux mari ou bien est-ce l’effort pour monter la voie Schumann sur le versant du coteau ?
En tout cas, cette fois-ci encore la camarde en a pris plein la vue et est restée sur place loin derrière. Pourtant entre ses dents usées on a pu entendre un ricanement : « Un jour ce sera au tour de V… »

Victor

(texte écrit le 12 juillet 2009)

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