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vendredi 8 juin 2012

Interférence mémorielle


Le tourniquet des souvenirs dans ce no man’s land jurassien baigné de soleil embrasait mon esprit d’une mélodie argentine. C’était avant l’hiver et Michel Subor ne prêtait pas encore attention aux battements de son cœur intrus.
Place de l’Opéra un 1er janvier, rendez-vous à 7 heures du matin, le journal convenu à la main. Paris nous appartenait et le monde devait changer. Ai-je rêvé ces ombres inquiètes après le massacre de Tlatelolco, qui descendaient des fourgons crépusculaires les mains en l’air, bidules casqués formant une haie de honte ?
Bien au chaud à l’abri de la neige qui tombait, nous étions gris et légers. Un air de reggae sur un microsillon, Bernard Lavilliers chantait la Jamaïque. Amnésie d’une soirée alcoolisée où tout était possible, où rien ne s’était passé.
Le soleil s’était levé un matin de Pâques sur le massif de la Sainte-Baume. Plus tard à Jokkmokk il avait rebondi à l’horizon refusant de se coucher. Peut-être pour rassurer la petite fille qui en s’endormant avait peur de ne pas se réveiller.
La guerre était finie pour Yves Montand et Geneviève Bujold. Alors pourquoi à la sortie du cinéma, un policier montait-il la garde devant le commissariat, armé d’une mitraillette ? Image déjà révolue des heures noires de l’OAS.
L’ancien poilu de 14-18 était couché sur son lit de mort. Teint cireux et robe de bure. Sentiment de frayeur chez l’enfant. Longtemps après quand ce fut le père qui gisait là, tristesse et infinie tendresse.
Brouillard sur les monts du Pilat, conduite fenêtre ouverte, tête penchée au dehors pour deviner le bas-côté. Très loin de là, un campement sauvage était pris par les nuages un soir d’été et attendait en vain la visite d’un ours mythique. Les tentes craintives s’estompaient dans la brume cotonneuse.
Souvenirs anciens d’événements entremêlés, de paysages effacés, de rencontres sans visage. Oubli de mots, de noms, confusion des émotions et des couleurs. Méprise sur le passé. Ce que j’ai fait hier, je l’ai oublié. Avant-hier ? « La tempête » est dans ma tête. Ariel a tout nettoyé et Prospero a pardonné au roi de Naples.

Victor


(texte écrit le 18 décembre 2011)

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