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samedi 16 juin 2012

Chacone


Il est vautré sur le canapé. Il ne dort pas et songe aux événements de la nuit. Son oreille ne lui fait plus mal, mais c’est vrai qu’elle est salement amochée. 
Il a pu s’échapper après avoir escaladé avec difficulté la grille, à cause sans doute des rhumatismes dus à son âge avancé. Cette maison qu’il squatte  dans ce quartier retiré de la banlieue, lui sert une fois de plus de refuge.
Il repense à sa jeunesse, à ceux de sa race, fiers et valeureux, vêtus de leurs tuniques à long poils dont la couleur tire légèrement sur le roux sous la lumière rasante du soleil.
Il aurait besoin d’un peu de soins. Depuis combien de temps n’a-t-il pu goûter à la douceur d’une vraie toilette ? Encore que prendre un bain n’a jamais été sa tasse de lait. Mais il y a tellement de plaisir à se faire pomponner par des mains expertes.
C’est difficile de se faire comprendre quand il faut vivre parmi des étrangers. Au début il gardait le silence. Parmi les siens la parole n’était pas essentielle, mais maintenant pour communiquer il faut se faire entendre.
Dans le roman de Haruki Murakami et les bandes dessinées de Joann Sfar, le dialogue est possible  avec certains individus. Cela lui semble cependant guère réaliste, un peu magique même. 
Depuis que sa mère est morte, il n’a plus de famille. Il n’a pas de compagne, ni d’enfant, à cause de cette foutue opération.
Le souvenir qu’il garde de ses parents est très flou. Il est indéfectiblement lié aux splendeurs de la Perse. Ils n’ont pourtant jamais vécu là-bas !
C’était avant la révolution islamique et on lui racontait qu’un “chat” dominait le pays et maintenait les populations dans l’oppression avec une poigne de fer. Étant petit cela le fascinait que quelqu’un de sa race puisse dominer de cette façon autant d’hommes et de femmes, même si au fond de lui  il n’approuvait pas.
Car l’humanité il ne faut pas la mépriser. C’est grâce à elle qu’il peut survivre. Ce sont des hommes et des femmes qui lui donnent à manger. Parfois il faut un peu quémander, se frotter, s’accrocher quitte à se retrouver coincé dans les mailles d’un vêtement. Ce n’est plus la dextérité d’antan. Mais après, il suffit d’un simple roucoulement de satisfaction pour remercier ses hôtes, le ventre plein. Ce n’est pas trop cher payé ! 
À propos de ventre, il pèse un peu. Il a trop bu tout à l’heure. Il faut qu’il aille se soulager. Il se dresse. Un petit stretching — il étire les pattes avant, il étire les pattes arrière — et d’un bond il saute sur le carrelage. En deux temps trois mouvements le voici devant la porte. Il s’assoit, les pattes de derrière repliées. Il rectifie le port de la tête et commence à miauler…

Victor

(texte écrit le 28 janvier 2007)

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