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mercredi 6 juin 2012

L’impossible silence


On entendait depuis le vestibule une kyrielle de sons : chuintements, sifflements, mots susurrés, messages ressassés et incompréhensibles. Un flux RSS incessant qui agrégeait les souvenirs sonores de la vie. 
Pour tenter d’échapper à cet embrouillage sensoriel, on égrenait en mots confus, dans un langage abscons, ce qu’avaient pu être les événements originels avec l’ambition de les coucher sur la feuille blanche, ersatz provisoire du divan du psychanalyste.
La fête foraine finissait dans le crépuscule qui enveloppait le terrain vague. Une musique qui pouvait être de Nino Rota, incertaine d’abord, devenait de plus en plus présente. C’était la fanfare des cinq clowns qui défilaient quand on démontait, à la lueur blafarde des projecteurs, le décor d’un film qui ne se ferait plus. Film dans le film, rengaine nostalgique avant le générique de fin.
Mais le clap final se fit attendre car on tourna vaille que vaille encore plusieurs années. Les acteurs étaient très bien et improvisèrent avec brio chaque fois que le script l’exigeait. Ils avaient fière allure quand ils descendirent le grand escalier pour la parade finale ! 
Ils n’étaient cependant pas tous là. Certains avaient abandonné la production en cours de route. Pour affaire personnelle le plus souvent mais parfois pour se perdre dans cette forêt fantôme, dont on ne revenait pas.
Est-ce alors le bruissement du vent à travers les branchages qui porte leur souvenir et se manifeste intempestivement à l’oreille en créant une indicible douleur ?
Lorsque deux des clowns musiciens, vêtus de rouge, réapparurent sur le perron en jouant trente cinq fois de leurs instruments pour célébrer cet anniversaire, on comprit que le présent était révolu et que peut-être on avait gâché sa vie passée. Requiem pour des rêves non réalisés. 
Quand ils cessèrent de jouer, le silence ne revint pas. On entendait si loin, si proche, des bruits d’ailes ainsi que le murmure des anges qui taquinaient les enfants et accompagnaient les mourants.
Alors, solitaire, mélancolique, perdu dans ses pensées, on regarda la beauté du monde au soleil couchant et on se mit à marcher doucement. Il paraît que la veste, chargée du poids du passé, a glissé lentement sur les épaules et que d’un geste décidé on l’a jetée sur le chemin tel « le doorman » de Cécile Paris. Le pas serait devenu plus rapide et on se serait mis à courir. Mais on n’en est pas très sûr.
Le ressac mugissait sur le rocher. Au fond des coquillages cochléaires on écoutait le silence de la mer.


Victor


(texte écrit le 20 août 2011)

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